Le cabinet Eveha a réalisé une fouille préventive en 2008 au 23 rue du Duc à La Rochelle (Charente-Maritime).
Son implantation au sein du quartier Saint-Nicolas en bordure du port en fait un site intéressant pour la compréhension de cette partie de l'agglomération. En effet, le quartier forme à lui seul une entité géographique et historique puisqu'il s'agit d'une île qui n'est reliée à la cité qu'en 1202 par la mise en place du pont Saint-Sauveur.
Ensuite, cet îlot se démarque parce qu'il correspond à une paroisse indépendante sous l'égide de l'église Saint-Nicolas rattachée à l'abbaye de Déols et non de Notre-Dame de Cougnes qui contrôle le reste des édifices religieux de la ville.
C'est pourquoi, de part ces différents aspects, on suppose que cette paroisse correspond au village de pêcheurs originel ayant donné naissance à la ville de La Rochelle.
Au début du XIIIe siècle, suite à un acte de Jean Sans Terre qui confère aux Rochelais le droit de défendre leur ville, le quartier est doté d'un rempart qui perdurera jusqu'à la fin du XVIe siècle et l'émergence d'une nouvelle enceinte bastionnée. Avant cette nouvelle organisation de l'espace, le site du 23 rue du Duc se trouvait en périphérie immédiate du rempart médiéval dans une zone de marais.
Une des parties les plus anciennes du site correspond à un chenal naturel sur lequel le rempart médiéval est venu s'appuyer pour faire office de douve. Le sondage ouvert en travers de ce chenal a mis en évidence un entretien régulier avec la quasi absence de mobilier antérieur au XVIe siècle. A la suite de l'émergence d'une nouvelle enceinte bastionnée entre 1568 et 1598 la zone inscrite entre les deux enceintes est progressivement asséchée. D'après nos observations, il apparaît que le remplissage du chenal s'est opéré de façon progressive, sur une période assez courte avec des matériaux identiques. Il s'agit d'un apport massif d'éléments organiques associés à des déchets de boucheries ou d'abattoirs. Un apport de brie marin mélangé à des pierres et des galets vient ensuite recouvrir l'ensemble.
Malgré un assèchement rapide du secteur et des indications littéraires suggérant un engorgement des habitants au sein de la ville médiévale, l'expansion urbaine ne s'opère qu'au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle. Il est possible que ce soit le résultat du siège de 1628 marqué par une diminution de la population (mortalité et départs) de la ville. D'ailleurs, l'espace bâti mis au jour ne semble pas être à vocation résidentielle. Le mobilier recueilli indique la présence d'activités de type industriel. La découverte au sein du bâtiment de plusieurs milliers de fragments de formes à sucre et pots à mélasse ainsi que des structures de type four, citerne, bac à charbon, porte charretière associées à une organisation générale comparable aux manufactures à sucre connues aux Antilles ne laisse aucun doute sur la vocation des lieux pour la fin du XVIIe siècle. En revanche, cette activité périclite très rapidement au cours du XVIIIe siècle.
On assiste alors à une transformation rapide de la zone.
Les murs de parcelle sont récupérés pour agrandir la propriété vers l'est. Deux cloisons internes au bâtiment principal sont abattues et un apport massif de remblais transforme ces pièces en grandes salles type hangars.
Au nord du site, on note l'apparition d'un hangar supplémentaire et au sud la mise en place de « l'habitation principale ». Au centre de la parcelle, l'espace est dépourvu de construction si ce n'est le puits toujours présent.
La mise au jour sur le site de nombreux bouchons de fioles et d'un sédiment gras cendreux régulièrement associé aux couches de cette période traduirait une activité tournée vers la production des eaux de vie.
Cette activité est présente sur les lieux au minimum à la fin du XIXe siècle avec les Cognacs Godet.
Les nouveaux aménagements de la seconde moitié du XVIIIe siècle peuvent correspondre à des hangars pour le stockage des fûts de chêne et expliquer l'absence d'occupation sur ces niveaux de terre battue.
L'ensemble des résultats collectés par l'opération du 23 rue du Duc atteste que l'agrandissement du quartier lié à la mise en place d'un nouveau rempart à la fin du XVIe siècle ne provoque aucun développement de l'habitat. Ce n'est qu'au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle qu'apparaissent de nouveaux bâtiments.
La proximité immédiate du quartier St Nicolas avec le port associée à un commerce colonial en pleine expansion contribuent alors à l'émergence d'infrastructures. Ainsi, sous Colbert, La Rochelle bénéficie de l'impulsion de grandes compagnies qui s'installent dans la ville, comme celle du Nord et la Compagnie des Indes Occidentales.
Elles importent une grande quantité de sucres bruts dans le but de les raffiner, pour ensuite les exporter dans des pays de la Baltique ou de la Scandinavie.
La présence d'une petite manufacture à sucre au 23 rue du duc précise l'existence de cette activité dans ce quartier pour la fin du XVIIe siècle.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la réorganisation des bâtiments et la culture matérielle mise au jour révèlent une nouvelle orientation commerciale tournée vers l'exportation des eaux de vie.
Cette situation corrobore les données de Delafosse qui note une explosion des raffineries à partir de 1680 tout en indiquant que peu d'entre elles vont fonctionner durablement.