Une colonne de camions chargés de vieux ordinateurs et d'équipement électronique désuet stationne sur le port de Taizhou, dans la province de Zhejiang, au sud-est de la Chine. Des conteneurs entiers de matériel informatique périmé sont déchargés de bateaux en provenance du Havre, de Rotterdam et des ports américains et nippons. À quelques kilomètres de là, les camions vont décharger ces débris électroniques dans une immense décharge. Des piscines de liquide huileux surmontées de tonnes de matériel en voie de décomposition s'étendent à perte de vue. Bienvenue dans le plus grand dépotoir informatique à ciel ouvert du monde.
Cela fait maintenant des années que les pays développés expédient leurs tonnes de déchets en Chine. Pourquoi? Parce que cela ne coûte rien, ou presque, puisque la main-d'œuvre chinoise qui travaille ici au retraitement des déchets électroniques mondiaux est l'une des moins onéreuses du globe. Son salaire moyen oscille entre deux et quatre dollars par jour. Bien sûr, depuis 2000, il est interdit d'exporter en Chine les déchets électroniques. Mais en 2006, avec l'augmentation toujours plus importante des déchets, la corruption des autorités chinoises et une économie chinoise en plein boom qui fait flèche de tout bois, ce commerce illégal continue à ciel ouvert, au vu et au su de ceux qui daignent seulement ouvrir les yeux.
Recyclage sauvageDans les ateliers à ciel ouvert de Taizhou, des centaines d'ouvriers fondent les composantes des ordinateurs après les avoir démantelés. Les fourneaux en brique recrachent une fumée âcre. Cadmium, béryllium, plomb, mercure, autant de produits toxiques qui sont exploités sans aucune précaution pour la santé des personnes qui travaillent sur les sites de recyclage (ces produits s'accumulent dans le sang et troublent l'équilibre hormonal), sans aucun souci pour l'environnement qui en prend un sacré coup également. Tout aussi dangereux, les plastiques des coques d'ordinateur et des cartes mères sont brûlés dégageant une fumée cancérigène. Pire peut-être, des bassines d'acide complètement exposées à l'air libre servent à fondre l'or contenu en microparticules dans les semi-conducteurs. Les ouvriers viennent ensuite récupérer le précieux métal sans aucune protection.
Problèmes de santéDéjà en 2004, Jim Puckett, directeur de Basel Action Network, une organisation non gouvernementale qui piste les déchets toxiques de par le globe, avait filmé des monticules entiers de déchets toxiques au même endroit. « Les ordures arrivaient à toute heure de la journée et de la nuit, au point qu'un camion était déchargé toutes les deux minutes », raconte-t-il. Son équipe de tournage s'était rendue dans le village de Guiyu. Les ateliers de démontage collaient les maisons des ouvriers qui travaillaient là, leurs enfants plongeaient dans des rivières chargées de déchets électroniques dont les taux en plomb dépassaient de 400 à 600 fois les normes internationales de santé publique. Dans ce village, l'eau n'était plus potable depuis 1995 prouvant l'ancienneté de ce fléau. En deux ans, malgré l'interdiction de 2000, rien n'a changé. Pire, les nouvelles directives officieuses chinoises sont d'aller enfouir ces déchets loin des regards, dans des zones rurales loin des côtes, poussant plus loin encore la pollution au coeur de zones jusqu'ici protégées.
Qui est responsable?Pour Jim Puckett, les responsables de cette situation sont, outre les autorités chinoises, les gouvernements occidentaux et en premier lieu, celui des États-Unis. C'est un véritable échec pour l'administration américaine qui ne peut empêcher ces décharges à ciel ouvert qui parsèment le monde. Car en plus de la Chine, l'Inde, la Malaisie, les Phillippines, le Vietnam, l'Europe de l'Est et l'Afrique sont touchés par ce problème grandissant.
Un problème mondialEn 2005, en enquêtant au Nigeria, Puckett avait trouvé dans le port de Lagos que 500 chargements de déchets informatiques arrivaient chaque mois par bateau dans ce pays. Certains prétendaient à l'époque que ce matériel était utilisé par les africains pour servir d'ordinateur de seconde main et dynamiser ainsi le marché de l'informatique de cette région du globe. Puckett avait prouvé alors que 75 % des équipements qui arrivaient par bateau étaient inutilisables et allaient donc pourrir dans des décharges à ciel ouvert. Enquêtant pour un public américain, Puckett avait retracé les expéditeurs de ces déchets grâce aux codes d'identification des différents rebuts informatiques qu'il avait trouvés sur place. Parmi les généreux fournisseurs, on trouvait, entre autres, l'armée américaine, le gouvernement de l'Illinois, du Kansas, la ville de Houston au Texas et de nombreux hôpitaux, écoles et banques américaines. IBM et Intel, à la fois comme fournisseur de matériel, mais aussi comme consommateur de ces équipements, n'étaient pas en reste.
Recycler coûte trop cher en OccidentLe problème est économique comme c'est souvent le cas. Le matériel électronique est composé de petites unités, très difficiles à recycler, puisqu'il faut désassembler les différents éléments et cela coûte excessivement cher. D'où la pratique de plus en plus courante d'envoyer ces matériaux au bout du monde. Basel Action Network estime que plus de 50 % des déchets américains produits aux États-Unis échouent dans des décharges à ciel ouvert de pays du tiers monde. Il est à noter que les lois américaines sont extrêmement laxistes en matière de recyclage des déchets électroniques, ce qui rend plus difficile encore le lobbying de Basel Action Network en faveur d'un meilleur traitement des déchets. L'administration Bush se réfugie derrière le droit de libre commerce des marchandises pour ne pas avoir à interférer dans ce commerce qui, ultimement, arrange tout le monde.
Des prévisions alarmantesOn estime aujourd'hui à un milliard le nombre d'ordinateurs en activité de par le monde. De ce nombre, 200 millions d'ordinateurs se trouvent aux États-Unis. Un ordinateur est considéré comme obsolète après une durée de vie de trois à cinq ans. Cela signifie que 30 millions d'ordinateurs aux États-Unis sont envoyés à la poubelle chaque année. Et cette tendance est en pleine augmentation. En 2010, trois milliards de pièces électroniques diverses et potentiellement toxiques vont se retrouver dans la nature, selon l'Association Internationale des Recycleurs Électroniques. En Europe, la part de déchets qui augmente le plus est celle des déchets électroniques.
(source: http://www.salon.com)Gouvernements, institutions, groupes de pression, particuliers, ne serait-il pas temps d'agir?